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Les qualités pour être orthophoniste

J’ai lancé un sondage tout à fait informel sur un groupe Facebook d’orthophonistes il y a quelques semaines, en demandant quelles étaient selon mes collègues les qualités indispensables à la pratique du métier d’orthophoniste. J’ai eu des réponses de la part d’une cinquantaine de personnes.

J’ai tenté de classer ces qualités selon plusieurs catégories :

  • Les qualités qui s’exercent en tant que clinicien·ne
  • Les qualités qui s’exercent en tant que thérapeute
  • Les qualités qui s’exercent en tant que professionnel·le recevant du public

Il y a eu plusieurs commentaires expliquant que le·a professionnel·le n’avait cependant pas forcément les qualités qu’iel citait, ce qui peut sembler paradoxal. Nous pouvons cependant compenser, comme le disait certain·e·s collègues : par exemple un manque de créativité peut être comblé par du matériel orthophonique renouvelé régulièrement, un manque de patience par des connaissances pointues et un cadre strict… Je ne pense pas qu’il faille toutes les qualités listées pour être un·e bon·ne professionnel·le. Je crois que l’on choisit ce métier parce qu’on a une attirance et que l’on pense faire du bon travail, je pense aussi que certaines qualités s’acquièrent avec l’expertise, avec les années, avec les difficultés. On apprend ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien.

De toute façon l’idée n’est pas que nous soyons tous·tes identiques et irréprochables. C’est un métier aussi humain que technique, et justement je trouve qu’un de ses plus gros défis est d’allier les 2 : suffisamment de technique et d’expertise sans perdre le côté humain, suffisamment d’humanité sans perdre l’expertise.

Comme chez les psychologues, je pense qu’en tant que patient·e on peut ne pas toujours trouver le·a professionnel·le qui nous convienne du premier coup. Qu’il faut parfois travailler une relation thérapeutique car elle ne sera pas évidente. Voire changer de thérapeute.

Les qualités qui s’exercent en tant que clinicien·ne

  • Créativité
  • Curiosité
  • Fantaisie
  • Connaissance
  • Esprit d’investigation
  • Logique
  • Persévérance
  • Remise en question
  • Réactivité
  • Capacité à se renouveler et se former
  • Esprit de synthèse

Les qualités qui s’exercent en tant que thérapeute

  • Bienveillance
  • Tolérance
  • Empathie
  • Force de caractère
  • Ecoute
  • Observation
  • Sens de l’humour
  • Prise en compte de l’autre
  • Envie de bien faire
  • Ouverture
  • Optimisme
  • Humanité
  • Partage
  • Humilité
  • Pragmatisme
  • Capacité à demander de l’aide
  • Résistance
  • Clairvoyance
  • Professionnalisme
  • Ethique
  • Motivation interne
  • Bonne humeur
  • Energie
  • Diplomatie
  • Discrétion

Les qualités qui s’exercent en tant que professionnel·le recevant du public / chef·fe d’entreprise

  • Flexibilité
  • Adaptabilité
  • Patience
  • Rigueur
  • Planification
  • Souplesse
  • Bonne santé et résistance
  • Equilibre
  • Calme
  • Anticipation
  • Capacité à poser des limites
  • Organisation
  • Capacités exécutives
  • Compétences de gestion d’entreprise

Comme vous le voyez ce classement est tout à fait indicatif. Par exemple j’ai mis la rigueur dans les qualités de chef·fe d’entreprise, mais on peut également la citer dans les qualités d’un·e clinicien·ne.

Par ailleurs, certaines qualités semblent contradictoires, comme la rigueur et la souplesse, ou le calme et l’énergie. A chacun·e de trouver son équilibre et faire avec également avec sa personnalité.

Ce qui ressort loin devant, quand on compte les réponses des collègues, sont ces 2 termes : adaptabilité et empathie.

Adaptabilité

Nous recevons des patient·e·s présentant des profils, et il est évident que le fait de s’adapter à la personne qui nous consulte et à son entourage est très important. Par « profil », j’entends notamment une diversité d’origine culturelle, géographique, de mode de vie, de structure familiale, de religion, de handicap, de physionomie… Chaque patient·e se présente avec son vécu, ses difficultés, ses plaintes. En tant que soignant·e, il nous faut nous adapter à tout cela, sans jugement ni discours offensant. Cela implique à mon sens de rendre notre cabinet le plus inclusif possible, parfois en aménageant les meubles (par exemple des chaises suffisamment larges et sans accoudoirs pour les personnes obèses), parfois en diversifiant le matériel (représentations ethniques variées), parfois en mettant des affiches, mais le plus souvent par notre attitude et notre discours. J’y reviendrai dans un prochain article car il me semble qu’il s’agit d’un sujet crucial auquel nous ne portons pas toujours l’intérêt qu’il mérite.

Cette adaptabilité s’applique bien entendu également aux troubles présentés par le·la patient·e. Enchaîner les séances toutes les 30 minutes, avec des troubles très variés, nécessite une remise en question et une adaptabilité permanente.

Empathie

Je cite ici Matthieu Ricard : « L’empathie est la capacité d’entrer en résonance affective avec les sentiments d’autrui et de prendre conscience cognitivement de sa situation. L’empathie nous alerte en particulier sur la nature et l’intensité des souffrances éprouvées par autrui. […] L’empathie peut conduire à une motivation altruiste, mais elle peut aussi, quand on se trouve confronté aux souffrances d’autrui, engendrer un sentiment de détresse et d’évitement qui incite à se replier sur soi-même ou à se détourner des souffrances dont on est témoin.  »

Je dirais qu’en tant qu’orthophoniste on serait plutôt sur le registre de la compassion, de l’altruisme, de la sollicitude. L’idée n’est pas de souffrir avec nos patients, mais plutôt de pouvoir prendre du recul, et de pouvoir aider par notre expertise et notre accompagnement, en étant sur une tonalité émotionnelle différente et en gardant notre distance de soignant.

Perfactive et la responsabilisation des patients en orthophonie

Pour ma réinstallation, il y avait bien une chose dont je ne voulais plus : des semaines identiques les unes aux autres, des créneaux fixes pour les patient·e·s, les prises en soin dans le même ordre chaque semaine, moi qui doive gérer mon planning en m’adaptant aux un·e·s et aux autres, pas de possibilité de rattraper les séances en cas d’absence (de ma part ou de celle du·de la patient·e) ou de formation… En me préparant pour cette nouvelle installation, c’était décidé, j’aurai une plateforme de prise de rendez-vous en ligne !

Après avoir entendu beaucoup de bien de Perfactive, avoir testé le mois gratuit et eu un entretien avec Simon le créateur, c’est cette solution que j’ai choisie. Je la trouve idéale car elle combine liste d’attente, prise de rendez-vous en ligne, rappels de rendez-vous (et éventuellement facturation et suivi mais je ne me sers pas de ces parties), sans que le·la patient·e n’ait à créer de compte, et pour un tarif très intéressant pour le·la professionnel·le. Et j’aime le visuel de la plateforme et son côté intuitif (oui c’est important pour moi, je déteste quand ce n’est pas joli/pas assez sobre/pas ergonomique et qu’il faut tout chercher partout – dans le style des sites de l’URSSAF ou des impôts quoi 😶). On peut vraiment paramétrer beaucoup d’éléments.

Vous trouverez des articles sur Perfactive chez les collègues Claire M. Paksa à faire et Claire H. L’ortho en (plus) claire. Je ne vais donc pas m’attarder sur les fonctionnalités (mais si vous avez des questions les commentaires sont là pour ça) mais plutôt sur ma manière de l’utiliser. Je n’ai que quelques semaines de recul cependant, si mon avis ou ma façon de faire devait changer j’éditerai l’article !

Le parcours du·de la patient·e

Quand le·la patient·e ou l’entourage me contacte pour un bilan, il est invité à s’inscrire sur la liste d’attente (j’envoie le lien par SMS ou par mail). J’ai ainsi pas mal d’infos sans avoir à passer 10 minutes au téléphone sur le temps d’une séance : coordonnées, type de difficultés, plainte, disponibilités, etc. Au passage la personne est informée des horaires d’ouverture du cabinet (temps scolaire uniquement). Tout ceci est paramétrable.

Quand j’ai des disponibilités, je déplace la fiche de la liste d’attente à ma base de données, la personne devient « officiellement » un·e patiente, et a donc accès à la prise de rendez-vous en ligne pour programmer le bilan sur mon temps disponible. A ce moment, iel reçoit un mail lui proposant de prendre rendez-vous, de bien sélectionner « bilan », d’amener l’ordonnance, la carte vitale, le règlement, et si c’est pour un enfant qu’il faut la présence de l’enfant et du·des parent·s. Tous ces éléments sont paramétrables à nouveau.

Ensuite on se voit pour le bilan, et s’il y a une indication de prise en soins j’explique mon mode de fonctionnement : selon la fréquence de séances que je préconise, c’est à eux de prendre leur rendez-vous, de s’assurer qu’iels ont bien des séances prévues (j’ouvre mon planning environ 4-6 semaines à l’avance), d’annuler s’iels ont un empêchement et de reprogrammer. Iels reçoivent des mails de rappel de rendez-vous, et ont un lien personnalisé vers la plateforme.

Ce que ça change pour moi

Tout ! J’ai vraiment des souvenirs terribles de planning casse-tête dans mon exercice libéral précédent, les pauses que les patient·e·s ne veulent pas faire car « pas sûr·e d’avoir leur créneau au retour », le tétris de la rentrée, et cette sensation au final de ne pas maîtriser mon propre planning, un comble pour du libéral ! Comme je donne des formations, j’ai besoin de cette flexibilité. Je veux aussi pouvoir accompagner ponctuellement mon fils à une sortie scolaire, passer une après-midi en semaine avec mon chéri (qui est posté et a donc des horaires qui changent tout le temps), assister à une formation sans priver le·la patient·e de sa séance hebdomadaire, faire une grasse matinée si je suis épuisée ou partir en week-end un vendredi midi (évidemment on évite de faire tout ça la même semaine pour pouvoir proposer un nombre de plages horaires minimal)… C’est une pratique moins routinière, ce qui me convient bien.

Ce que ça change pour les patient·e·s

Tout aussi je crois ! Iels sont beaucoup plus acteur·rice·s de la prise en soins, plus responsables (je parle de la famille puisque je reçois exclusivement des enfants et adolescent·e·s). Iels savent que c’est à eux de prendre leurs rendez-vous, que s’iels ne le font pas il n’y aura pas de séance cette semaine-là. Iels peuvent adapter leur prise de rendez-vous à leurs contraintes : parents postés, autre rendez-vous médical, sortie scolaire…

Cela fait partie de ma façon de travailler au sens large, avec un partenariat parental très étroit, un entourage qui connaît les objectifs précis de la prise en soins, des accompagnant·e·s qui sont présent·e·s et actif·ve·s à TOUTES les séances. C’est la continuité de ma manière de voir mon métier, au service des patient·e·s mais pas à leur place.

Certain·e·s collègues, parlant de cette prise de rendez-vous qui reposent exclusivement sur les patient·e·s, s’inquiètent : « ça va me prendre trop de temps de vérifier chaque semaine s’iels ont bien pris leur rendez-vous et de le leur rappeler ! ». Et bien, ce n’est absolument pas ma façon de faire ! Ils ne prennent pas rendez-vous, ils ne viennent pas, tant pis, ce n’est pas moi qui suis en demande. Par contre je désactive la fiche du·de la patient·e en cas de non prise de rendez-vous plusieurs semaines de suite, afin que la prise en soins ne soit pas du saupoudrage une séance par-ci par-là. C’est ensuite à eux de me recontacter pour que l’on envisage une reprise s’ils le souhaitent.

En tant que patiente, j’ai eu recours à ce type de plateforme (Doctolib en l’occurence) pour ma rééducation périnéale avec ma sage-femme. Elle m’avait préconisé une fréquence de rendez-vous, je m’y suis tenue, elle n’était pas sur mon dos pour que je prenne les rendez-vous et cela me semblait normal. C’est l’inverse qui est finalement anormal, et je ne l’ai jamais vu en dehors de l’orthophonie. Rappeler des patients qui ne viennent pas, c’est impossible pour moi. Je n’imagine pas mon dentiste m’appeler car il ne m’a pas vue depuis 18 mois.

C’est cela que j’appelle la responsabilisation du·de la patient·e, et qui pour moi fait partie du contrat de soins, de l’éthique de ma pratique. Je n’ai pas à forcer à un·e patient·e de venir en séance. Si ses contraintes ne lui permettent pas d’intégrer l’orthophonie à son quotidien, je préfère qu’iel ne prenne pas rendez-vous plutôt que d’avoir des absences à répétition ou peu de motivation.

Les limites

Je pense que cela convient à mon fonctionnement et à ma manière de travailler également car je ne travaille que sur le temps scolaire, les lundis mardis jeudis et vendredis de 9h à 16h. Il n’y a pas de bataille pour les patient·e·s sur qui aura les fameux créneaux « hors temps scolaire », puisqu’il n’y en a tout simplement pas.

Néanmoins, il est possible de paramétrer également les plages horaires en fonction de l’âge du·de la patient·e et de ses troubles, par exemple en réservant les créneaux hors temps scolaire aux patient·e·s de plus de 8 ans.

Cela convient également à ma patientèle qui a accès facilement à internet et maitrise cet outil de prise de rendez-vous ainsi que la gestion de son propre planning. Si ce n’était pas le cas pour un·e futur·e patient·e, je procéderai différemment pour cette personne évidemment. Faciliter l’accès aux soins reste primordial.

Je vous mets mon lien de marrainage, sachant que vous avez également un mois gratuit sans engagement pour tester !

[Outil d’évaluation] Essential for Living

Dans cette série, je vous présente les outils d’évaluation que j’utilise : des outils cliniques au service du professionnel, qui orientent vers les objectifs thérapeutiques, tout en répondant aux exigences scientifiques pour mesurer les progrès précisément.

Présentation

Essential for Living est un outil d’évaluation et un programme créé en 2004 par Patrick McGreevy et Troy Fry, disponible en anglais seulement pour le moment.

Il accompagne les professionnel·le·s pour évaluer puis enseigner des compétences de vie avec une validité sociale, pour permettre une dignité et une qualité de vie satisfaisante, malgré le handicap important.

Contrairement à la VB-MAPP, l’ABLLS-R ou l’ESDM, qui reposent sur une structure développementale, EFL est un outil à visée fonctionnelle : il s’agit de faire le point sur les compétences essentielles à la vie de notre patient·e, puis de lui enseigner les compétences manquantes qui sont les plus importantes.

Dans l’instrument sont listées plus de 3000 compétences, classées en différents domaines : communication expressive et réceptive, vie quotidienne, compétences sociales, compétences académiques, tolérance… Il y a un chapitre très conséquent au début sur la pertinence de mettre en place un outil de communication alternative, puis sur le choix de celui-ci. Les compétences fonctionnelles sont catégorisées selon leur priorité, avec notamment en premier les 8 compétences essentielles à la vie :

  • Faire des demandes pour obtenir des objets et activités hautement préférés et refuser des situations ou objets non apprécies
  • Attendre après avoir fait des demandes (par exemple si l’objet n’est pas disponible immédiatement)
  • Accepter le retrait d’un objet apprécié ou l’interruption d’une activité préférée + savoir passer d’une activité à une autre + partager + attendre son tour
  • Effectuer des actions brèves acquises précédemment
  • Accepter le « Non » (sans trouble du comportement majeur)
  • Suivre des instructions relatives à la santé et à la sécurité (par exemple revenir près du parent dans la rue quand celui-ci le demande)
  • Compléter des compétences de la vie quotidienne liées à la santé et à la sécurité (par exemple se brosser les dents)
  • Tolérer des situations liées à la santé et à la sécurité (par exemple porter un masque ou tolérer un examen dentaire)

Essential for Living est le seul programme de compétences de vie qui suggère la collecte de données comme la première opportunité de réponse de l’élève, les premiers essais sans faire la moyenne de l’ensemble des réponses, l’enregistrement de chaque progrès de la personne au fil du temps, en partant de comportements problématiques dans le contexte de l’acquisition de compétences, l’utilisation de guidances et leur estompage, la maîtrise d’une compétence, la généralisation du matériel et des personnes, la maintenance de la compétence au fil du temps. Chacune des cases utilisées pour enregistrer les progrès des apprenants représente une amélioration notable de leur qualité de vie. Il ne s’agit pas de comparer la personne à une autre personne, mais bien à elle-même afin d’enseigner et d’évaluer les progrès dans les domaines de compétences fonctionnelles.

EFL est basé sur l’analyse appliquée du comportement (ABA), et notamment l’ABA-VB, mais tout est très bien expliqué dans le manuel en des termes non techniques.

C’est donc un outil qui permet d’évaluer les compétences fonctionnelles d’une personne, de lister ses priorités (en partenariat avec son entourage), puis qui aide à enseigner ces compétences en fonction des possibilités de la personne.

Les patient·e·s concerné·e·s

Essential for Living est destiné aux enfants, adolescent·e·s et adultes présentant des handicaps modérés à sévères : TSA avec DI, polyhandicap, paralysie cérébrale, syndromes génétiques, déficience intellectuelle…, y compris les personnes avec des troubles sévères du comportement.

Ce n’est pas un instrument spécifique orthophonique, il peut être utilisé par des psychologues, éducateurs, ou même des parents.

Je l’utilise pour des enfants à partir de 7-8 ans environ, souvent à la suite de la VB-MAPP, et jusqu’à l’âge adulte.

Les intérêts cliniques majeurs au cabinet

Ai-je vraiment besoin de préciser ? Ce programme est extraordinaire, c’est le seul qui s’adresse aux personnes avec handicap modéré à sévère, le seul qui explore les compétences fonctionnelles, le seul qui ne compare la personne qu’à elle-même et accompagne très bien les professionnel·les au développement de ces compétences. Rien que tout le premier chapitre sur la communication est extrêmement intéressant.

Il vous passionnera si vous suivez au cabinet des profils de ce type, que vous connaissez déjà (même peu) l’ABA et notamment VB, si vous tournez en rond avec des outils développementaux et que vous sentez bien que vos patients ou besoin d’autre chose, si vous souhaitez aider l’entourage à travailler davantage autour de la qualité de vie de la personne, en ciblant les priorités. Et si vous lisez l’anglais 🙂

Sources et documentation

Résumé de la présentation d’EFL, à lire ici

Un échantillon des 3000 compétences listées dans EFL, à lire ici (en anglais)

Tout le site Essential for Living, qui contient des vidéos et de nombreux documents. Les auteurs font aussi régulièrement des sessions questions/réponses gratuites en live.

[Résumé d’article] Augmenter les réponses vocales des enfants avec TSA et troubles développementaux en utilisant l’entraînement aux demandes signées et le délai de guidance

Référence de l’article

Carbone, V. J., Sweeney-Kerwin, E. J., Attanasio, V., Kasper, T. (2010). Increasing the vocal reponses of children with autism and developmental disabilities using manual sign mand training and prompt delay. Journal of Applied Behavior Analysis, vol 43, 705-709.

Consultable ici.

Pour un résumé et des pistes pratiques à appliquer au cabinet, rendez-vous en fin d’article 🙂

Contexte

L’objectif pour nos patients non vocaux est une communication vocale fonctionnelle, mais ce processus peut être long, difficile et parfois vain. Nous ne pouvons les laisser sans outil de communication fonctionnelle, et pouvons alors mettre en place une CAA expressive signée. Quelques études suggèrent d’ailleurs que la communication signée pourrait faciliter le développement de comportements vocaux (mais ne serait-ce pas limité aux enfants qui avaient déjà un début de répertoire vocal ?). Pour faciliter ce transfert de la communication signée à la communication vocale, les auteur·rice·s de l’article suggèrent d’utiliser la procédure de délai de guidance, qui a déjà montré son efficacité pour augmenter le répertoire de comportements verbaux d’enfants avec troubles développementaux. Par exemple, plusieurs études ont montré que l’utilisation du PECS associé au délai de guidance pouvaient augmenter les réponses vocales de personnes non-vocales. Cet article consiste donc en une réplication avec l’utilisation des signes comme outil de communication alternative.

Méthode

Participants : 3 enfants (Tony, 4 ans avec un TSA, Ralph, 4 ans avec une T21, Nick, 6 ans avec un TSA). Les 2 premiers ont un répertoire de demandes signées sans guidance physique ou imitative de 10-15 items, le dernier a encore besoin de guidance physique partielle ou totale pour ses demandes signées.

Variable mesurée : nombre de réponses vocales guidées (après une guidance vocale) et non guidées (émission vocale en même temps que la demande signée, ou en même temps qu’une guidance physique ou imitative pour le signe, ou après la demande signée dans le délai de guidance de 5 secondes).

Design : ligne de base multiple à travers les participants

Procédure : l’instructeur sélectionne 6 items cibles de demandes, se basant sur une évaluation des préférences avant l’expérimentation. Les items incluent de la nourriture, des jouets et des vidéos. Les sessions sont conduites 2 fois par jour, avec 50 essais à chaque fois. Pour chaque essai, l’instructeur met un item désiré dans le champ visuel de l’enfant pour lui signaler sa disponibilité.

  • Si l’enfant ne montre pas de motivation pendant 5 secondes, l’instructeur retire l’item et présente le suivant.
  • Si l’enfant montre une motivation (le regarde ou essaie de le prendre), mais sans effectuer de demande signée pendant 5 secondes ou en faisant une demande signée incorrecte, l’instructeur procède à une séquence de guidance, commençant par une guidance imitative, puis si elle n’est pas efficace une guidance physique 2 secondes plus tard.

Ligne de base : si l’enfant montre une motivation pour un item et produit le signe dans les 5 secondes après la présentation de l’item, l’instruction le lui donne en disant le nom de l’item.

Entraînement : si l’enfant montre une motivation pour un item et produit le signe, l’instructeur ne donne pas immédiatement l’item mais introduit un délai de guidance de 5 secondes. Si dans ces 5 secondes le participant émet une réponse vocale, il obtient l’item immédiatement (cotation : réponse vocale non guidée). S’il ne vocalise pas pendant les 5 secondes, l’instructeur donne le nom de l’item (guidance vocale), et attend 2 secondes. Si l’enfant produit une réponse vocale dans ces 2 secondes il obtient l’item (cotation : réponse vocale guidée). Sinon, l’instructeur redonne la guidance vocale, 2 fois supplémentaires. A nouveau, si l’enfant vocalise il obtient l’objet (cotation : réponse vocale guidée), et l’obtient dans tous les cas après les 3 guidances vocales (cotation : pas de réponse vocale).

Résultats

Le graphique de résultats montre une efficacité du traitement pour les 3 participants, avec une augmentation du nombre de réponses vocales associées aux demandes signées.

Pour Tony, qui produisait déjà en ligne de base des demandes signées accompagnées d’émissions vocales, les demandes vocales guidées puis surtout non guidées augmentent fortement.
Pour Ralph et Nick, les émissions vocales en ligne de base sont quasi-inexistantes. Pour Ralph, elles se développement largement pendant l’intervention, à la fois guidées et non guidées. Pour Nick, elles se développent plus modestement, et seulement en présence de guidance vocale.

Discussion

Les résultats soutiennent les recherches précédents, concernant le fait que le délai de guidance peut être utilisé en cas de CAA expressive signée pour accompagner l’émergence de réponses vocales associées. Ces émergences peuvent ensuite être façonnées progressivement pour s’approcher de la cible vocale.

Les limitations de l’étude concernent l’absence de mesure hors des sessions expérimentales (qui étaient conduites à l’école) et le petit nombre de participants.

Résumé

Les auteur·rice·s étudient une procédure qui permette de faire émerger des comportements vocaux chez un enfant qui ne parle pas ou peu, auprès de qui une CAA expressive par signes a été mise en place car le vocal était trop long ou complexe à venir. Cette procédure (le délai de guidance) consiste à attendre après la demande signée, qu’une vocalisation apparaisse, puis de guider celle-ci par guidance vocale si nécessaire (3 fois de suite), pour ensuite donner l’objet demandé. L’étude montre que la procédure de délai de guidance fonctionne : mieux chez un enfant qui dit déjà des sons, mais les enfants qui ne produisaient pas de sons ont commencé à en produire grâce à l’intervention.

En pratique

Avec un enfant qui a une CAA expressive signée, et peu ou pas de demandes vocales, il est intéressant d’essayer la procédure de délai de guidance :

  1. On présente un item motivant à l’enfant et on vérifie sa motivation (il le regarde, il veut le prendre…)
  2. On attend sa demande signée spontanée
  3. On ne donne pas l’objet, mais on attend 5 secondes
  4. Si l’enfant émet une vocalisation dans ces 5 secondes, on donne l’objet
  5. Sinon, on donne le modèle vocal, et on attend 2 secondes (on peut le faire jusqu’à 3 fois). Si l’enfant dit quelque chose, on donne l’objet, et on le donne dans tous les cas après les 3 essais.
  6. Une vocalisation peut être le mot attendu, une approximation, ou juste des sons de la langue, même s’ils n’appartiennent pas au mot.

EBP et orthophonie

J’ai suivi en juin le MOOC Psychologue et orthophoniste : l’EBP au service du patient, de Sylvie Willems, Christelle Maillart, Trecy Martinez Perez et Nancy Durieux de l’Université de Liège, sur la plateforme Fun MOOC. Je vous le conseille (la session que j’ai faite est terminée mais elle est reconduite régulièrement), il est extra !

Néanmoins si vous n’avez pas de temps à y consacrer, je vous en propose ici un petit résumé : les grandes lignes de l’EBP et son application en orthophonie, notamment dans les troubles neurodéveloppementaux que j’affectionne particulièrement.

Alors déjà EBP ça veut dire quoi ?

Evidence-based practice, la pratique basée sur des preuves scientifiques. Comme je dis souvent à mes stagiaires en formation, ce sont sûrement des pratiques que vous utilisez déjà, mais l’idée c’est de les formaliser, peut-être avec des noms différents, d’y réfléchir, de continuer à progresser en tant que pro, de savoir où l’on va, de se remettre en question, etc.

« Si nous tentons de définir simplement l’EBP, nous dirons que c’est l’utilisation de sources d’informations différentes et complémentaires pour prendre les meilleures décisions concernant les soins de patients individuels ». Il s’agit de réduire les incertitudes lors des décisions cliniques. Par exemple : quel outil de CAA proposer à mon patient porteur de polyhandicap ? Quelle guidance sera la meilleure pour encourager cette patiente avec une paralysie cérébrale à imiter ? Comment faire en sorte que ma patiente avec une trisomie 21 fasse des commentaires spontanément ? Que proposer à cette famille pour que leur enfant avec un TSA se fasse des amis ?

Aujourd’hui, de nombreuses approches sont disponibles, beaucoup de matériel, plein de formations, alors il peut être difficile de s’y retrouver, et surtout de proposer à notre patient·e ce qui sera le plus efficace pour lui. L’intuition et le feeling ne suffisent pas, ni même l’expérience.

L’équipe créatrice du MOOC propose de formaliser l’EBP en 4 piliers, autrement dit 4 sources d’informations pertinentes, à exploiter et combiner pour prendre une décision clinique. Les 4 piliers sont de poids équivalent, aucun n’est censé être plus important qu’un autre. Dans le MOOC, les 4 piliers sont définis, puis il est expliqué comment on peut les intégrer ensemble.

(1) Pilier Patient

Il s’agit de prendre en compte ses difficultés, mais aussi ses comorbidités, son contexte social et familial, son origine culturelle, ses valeurs,… Le·la patient·e est notre partenaire, nous sommes sur un pied d’égalité. Il n’est pas question que le·la soignant·e impose et que le·la soigné·e obéisse aveuglement, mais que l’on puisse définir ensemble les objectifs de la prise en soin, selon les objectifs du·de la patient·e, la définition de son mieux-être et la compréhension de ses options, pour pouvoir ensuite effectuer ses choix.

« Il est parfois plus important de savoir quelle sorte de patient présente le trouble que de savoir quel trouble présente le patient. » William Osler

Relier un traitement spécifique à un trouble particulier est une vision incomplète. Il nous faut répondre aux problèmes de notre patient·e en tenant compte des différences individuelles. Il s’agit ainsi d’une réelle collaboration, d’un partenariat, avec un patient actif.

Exemples d’outils pour le pilier patient

  • Éviter le mode paternaliste, où l’on infère des données personnelles, et développer l’écoute active, sans interrompre, sans compléter les phrases de la personne, laisser des silences pour qu’elle puisse réfléchir, encourager, reformuler ce qu’on a compris
  • Prendre conscience et être curieux·se vis-à-vis de la diversité des valeurs, respecter les valeurs différentes des nôtres
  • Reconnaître les difficultés de nos patient·e·s mais aussi leurs ressources et leurs points positifs
  • Proposer aux patient·e·s de prendre des notes
  • L’intégrer dans nos prises de décisions, en expliquant ce qui se passerait si on ne faisait rien
  • A titre personnel, je n’hésite pas à demander aux patient·e·s (ou à la famille pour un enfant) : « qu’attendez-vous de l’orthophonie, comment pensez-vous que les séances vont se passer… » Je me définis parfois comme une « coach » pour les parents d’enfants avec TSA : je leur explique, je leur montre, je les accompagne, je leur donne des exemples, je les outille, mais le travail du quotidien, ce sont eux qui le font auprès de leur enfant.

(2) Pilier expertise du clinicien

Ce pilier regroupe les données internes, composées des connaissances théoriques (sur les troubles, les outils d’évaluation, les outils d’intervention) et les connaissances issues de la pratique, le raisonnement clinique et l’esprit critique – très important ! Rappelons que l’expertise est bien différente de l’expérience, alors que cette dernière est trop souvent mise en avant. Non, ce n’est pas parce que l’on travaille dans un domaine depuis 30 ans que l’on travaille forcément bien, et inversement. L’expertise se développe, se maintient, elle est faite de remises en questions, de formations, de lectures… Il s’agit d’une lutte permanente contre ses incertitudes et en même temps d’une acceptation de la limite de ses connaissances, de ses propres croyances et de ses propres biais.

Exemples d’outils pour le pilier expertise

  • Lutter contre ses propres biais cognitifs
  • Tenter d’infirmer et non pas seulement de confirmer
  • Prendre du temps pendant et après l’intervention pour convertir notre propre pratique en matériel d’apprentissage et augmenter notre expertise réelle
  • Se former régulièrement, en choisissant avec discernement nos formations
  • Connaître ses propres valeurs et préjugés, en analysant de manière approfondie les cas issus de notre pratique

(3) Pilier recherche

C’est souvent la première chose à laquelle on pense quand on parle d’EBP : trouver les meilleures données de la recherche scientifique. Ce pilier consiste à identifier au sein de la littérature scientifique des données de qualité : valides, actuelles et pertinentes pour notre pratique, tout en gardant un œil critique. Cependant, la profusion d’articles scientifiques et leur qualité très inégale rendent la tâche difficile et chronophage.

Exemples d’outils pour le pilier recherche

  • Se poser une question précise, en dégageant des mots-clés
  • Rechercher les données issues de la littérature
  • Evaluer les données de manière critique : validité interne, applicabilité des résultats dans le contexte de notre pratique, présence de biais, critères d’inclusion, qualité méthodologique…

Où chercher les données :

(4) Pilier contexte organisationnel et environnemental

On inclut ici les ressources liées aux politiques de santé et modèles d’organisation des soins, c’est-à-dire les contraintes qui influencent l’acceptabilité, la faisabilité et la mise en œuvre de l’intervention. Il s’agit par exemple du contexte de financement des soins (en France, les soins en orthophonie sont illimités et remboursés au moins à hauteur de 60%, mais la question du financement peut se poser pour les patient·e·s qui n’ont pas de mutuelle ni de protocole ALD et doivent débourser les 40% restants), du climat social, des infrastructures (désert médicaux bonjour), du cadre juridique et politique, etc.

En résumé…

Cet article (écrit à destination des infirmier·ère·s mais la stratégie est identique pour les orthophonistes) résume bien les étapes de l’EBP – il manque néanmoins le contexte :

  • Étape 0 : cultiver un esprit d’investigation
  • Étape 1 : se poser des questions cliniques précises
  • Étape 2 : trouver les meilleurs données scientifiques
  • Étape 3 : évaluer de manière critique ces données
  • Étape 4 : intégrer les données à l’expertise clinique du praticien et aux préférences et valeurs du patient
  • Étape 5 : évaluer les résultats des décisions ou des changements de pratique sur la base de preuves
  • Étape 6 : diffuser les résultats de l’EBP

Sources et documentation

Willems, S., Maillart, C., Martinez Perez, T., Durieux, N. (2020). MOOC Psychologue et orthophoniste : l’EBP au service du patient, plateforme Fun Mooc. Université de Liège.

Maillart, C., Fage, C., Heck, T., Lejeune, M., Grevesse, P., Martinez Perez, T. Comment peut-on mesurer l’efficacité d’une rééducation de manière écologique ? Étude de cas multiples chez des enfants présentant un trouble du spectre autistique. A consulter ici.

Hilaire-Debove, G. Pourquoi et comment évaluer les outils d’évaluation en orthophonie. A consulter ici.

[Outil d’évaluation] Evalo 2-6

Dans cette série, je vous présente les outils d’évaluation que j’utilise : des outils cliniques au service du professionnel, qui orientent vers les objectifs thérapeutiques, tout en répondant aux exigences scientifiques pour mesurer les progrès précisément.

Présentation

Evalo 2-6 (Françoise Coquet, Pierre Ferrand, Jacques Roustit – parue en 2009) est une batterie d’évaluation du langage oral, étalonnée pour les enfants de 2 ans 3 à 6 ans 3. Elle est très complète – ce qui peut faire peur quand on la reçoit ! – car elle évalue non seulement le langage oral formel (phonologie, lexique, syntaxe en compréhension et en expression), mais aussi la pragmatique et les facteurs explicatifs en cas de trouble du langage (perception, attention, mémoire, raisonnement, praxies).

J’ai pour ma part préféré suivre les 3 jours de formation à la batterie pour être sûre de l’utiliser au maximum de son potentiel, et je ne le regrette pas. La formation était chouette (coucou Anne !), bien structurée, et je sais maintenant quelles épreuves choisir dans quel cas.

Pour faire simple, la version courte contient les épreuves de première intention, qui permettent de savoir :

  • Si le·la patient·e nécessite que l’on commence une prise en soins
  • Quels sont les domaines de langage oral qui sont touchés
  • Quels sont les facteurs qui expliquent les troubles
  • Par quelles épreuves nous pouvons compléter
  • Par quoi commencer le travail orthophonique

Elle donne également une base de travail avec les parents, pour les accompagner dans de bonnes conditions et développer ensemble le langage de leur enfant.

Les patient·e·s concerné·e·s

Au cabinet, je l’utilise pour les enfants :

  • Sans handicap, ou avec un handicap qui a un retentissement léger sur le développement de son langage oral, entre 2 ans 3 et 6 ans 3, et j’utilise alors l’étalonnage correspondant à leur âge
  • Avec suspicion de handicap, ou handicap avéré, avec un retentissement important sur le développement de son langage oral, mais qui ont déjà un déjà un début de langage oral réceptif et expressif. Dans ce cas, j’utilise l’étalonnage correspondant à leur âge qui permet de chiffrer le décalage avec les enfants du même âge chronologique, mais aussi l’étalonnage qui correspond à leurs performances pour essayer de donner un âge développemental. De cette manière, je peux donc l’utiliser pour des enfants plus âgés que l’étalonnage.
    Par exemple : pour un patient de 4 ans 6, je vais comparer ce qu’il a fait avec l’étalonnage 4 ans 6, qui va certainement donner un décalage important, et je vais aussi regarder à quel âge correspondent ses scores (ce sera peut être 2 ans 6 ou 3 ans).
    Pour une patiente de 8 ans 3, je vais seulement comparer ses scores avec les différents étalonnages.
    J’utilise bien sûr les scores bruts pour comparer les performances de l’enfant au fil du temps et des bilans de renouvellement. Et mes observations cliniques, évidemment !

Les intérêts cliniques majeurs au cabinet

Ce que j’aime dans cette batterie, c’est qu’au-delà de l’aspect évaluation, elle donne des objectifs thérapeutiques, en repartant des fondations du développement du langage oral. Les épreuves sont toutes très liées entre elles, le modèle théorique sur lequel la batterie est basée est solide, et elle explore de nombreux domaines. Avec le même outil, on peut explorer différents parcours transversaux : attention/perception/mémoire, capacités linguistiques, pré-requis au langage écrit, enfant avec peu ou pas de langage. Il est plus pertinent de tout tester avec le même outil, dont toutes les épreuves ont été étalonnées sur les mêmes enfants, que de picorer des épreuves issues de bilans différents.

C’est un « gros » outil (au sens propre comme figuré), avec un coût certain, mais qui permet une très bonne expertise évaluative. Le traitement des données est automatisé sur une plateforme, ce qui facilite les choses, avec possibilité d’exporter directement dans un document pour rédiger le compte-rendu.

C’est pour moi un incontournable quand on reçoit des patient·e·s de cette tranche d’âge.

Sources et documentation

Site Evalo 2-6 : ici