EBP et orthophonie

J’ai suivi en juin le MOOC Psychologue et orthophoniste : l’EBP au service du patient, de Sylvie Willems, Christelle Maillart, Trecy Martinez Perez et Nancy Durieux de l’Université de Liège, sur la plateforme Fun MOOC. Je vous le conseille (la session que j’ai faite est terminée mais elle est reconduite régulièrement), il est extra !

Néanmoins si vous n’avez pas de temps à y consacrer, je vous en propose ici un petit résumé : les grandes lignes de l’EBP et son application en orthophonie, notamment dans les troubles neurodéveloppementaux que j’affectionne particulièrement.

Alors déjà EBP ça veut dire quoi ?

Evidence-based practice, la pratique basée sur des preuves scientifiques. Comme je dis souvent à mes stagiaires en formation, ce sont sûrement des pratiques que vous utilisez déjà, mais l’idée c’est de les formaliser, peut-être avec des noms différents, d’y réfléchir, de continuer à progresser en tant que pro, de savoir où l’on va, de se remettre en question, etc.

« Si nous tentons de définir simplement l’EBP, nous dirons que c’est l’utilisation de sources d’informations différentes et complémentaires pour prendre les meilleures décisions concernant les soins de patients individuels ». Il s’agit de réduire les incertitudes lors des décisions cliniques. Par exemple : quel outil de CAA proposer à mon patient porteur de polyhandicap ? Quelle guidance sera la meilleure pour encourager cette patiente avec une paralysie cérébrale à imiter ? Comment faire en sorte que ma patiente avec une trisomie 21 fasse des commentaires spontanément ? Que proposer à cette famille pour que leur enfant avec un TSA se fasse des amis ?

Aujourd’hui, de nombreuses approches sont disponibles, beaucoup de matériel, plein de formations, alors il peut être difficile de s’y retrouver, et surtout de proposer à notre patient·e ce qui sera le plus efficace pour lui. L’intuition et le feeling ne suffisent pas, ni même l’expérience.

L’équipe créatrice du MOOC propose de formaliser l’EBP en 4 piliers, autrement dit 4 sources d’informations pertinentes, à exploiter et combiner pour prendre une décision clinique. Les 4 piliers sont de poids équivalent, aucun n’est censé être plus important qu’un autre. Dans le MOOC, les 4 piliers sont définis, puis il est expliqué comment on peut les intégrer ensemble.

(1) Pilier Patient

Il s’agit de prendre en compte ses difficultés, mais aussi ses comorbidités, son contexte social et familial, son origine culturelle, ses valeurs,… Le·la patient·e est notre partenaire, nous sommes sur un pied d’égalité. Il n’est pas question que le·la soignant·e impose et que le·la soigné·e obéisse aveuglement, mais que l’on puisse définir ensemble les objectifs de la prise en soin, selon les objectifs du·de la patient·e, la définition de son mieux-être et la compréhension de ses options, pour pouvoir ensuite effectuer ses choix.

« Il est parfois plus important de savoir quelle sorte de patient présente le trouble que de savoir quel trouble présente le patient. » William Osler

Relier un traitement spécifique à un trouble particulier est une vision incomplète. Il nous faut répondre aux problèmes de notre patient·e en tenant compte des différences individuelles. Il s’agit ainsi d’une réelle collaboration, d’un partenariat, avec un patient actif.

Exemples d’outils pour le pilier patient

  • Éviter le mode paternaliste, où l’on infère des données personnelles, et développer l’écoute active, sans interrompre, sans compléter les phrases de la personne, laisser des silences pour qu’elle puisse réfléchir, encourager, reformuler ce qu’on a compris
  • Prendre conscience et être curieux·se vis-à-vis de la diversité des valeurs, respecter les valeurs différentes des nôtres
  • Reconnaître les difficultés de nos patient·e·s mais aussi leurs ressources et leurs points positifs
  • Proposer aux patient·e·s de prendre des notes
  • L’intégrer dans nos prises de décisions, en expliquant ce qui se passerait si on ne faisait rien
  • A titre personnel, je n’hésite pas à demander aux patient·e·s (ou à la famille pour un enfant) : « qu’attendez-vous de l’orthophonie, comment pensez-vous que les séances vont se passer… » Je me définis parfois comme une « coach » pour les parents d’enfants avec TSA : je leur explique, je leur montre, je les accompagne, je leur donne des exemples, je les outille, mais le travail du quotidien, ce sont eux qui le font auprès de leur enfant.

(2) Pilier expertise du clinicien

Ce pilier regroupe les données internes, composées des connaissances théoriques (sur les troubles, les outils d’évaluation, les outils d’intervention) et les connaissances issues de la pratique, le raisonnement clinique et l’esprit critique – très important ! Rappelons que l’expertise est bien différente de l’expérience, alors que cette dernière est trop souvent mise en avant. Non, ce n’est pas parce que l’on travaille dans un domaine depuis 30 ans que l’on travaille forcément bien, et inversement. L’expertise se développe, se maintient, elle est faite de remises en questions, de formations, de lectures… Il s’agit d’une lutte permanente contre ses incertitudes et en même temps d’une acceptation de la limite de ses connaissances, de ses propres croyances et de ses propres biais.

Exemples d’outils pour le pilier expertise

  • Lutter contre ses propres biais cognitifs
  • Tenter d’infirmer et non pas seulement de confirmer
  • Prendre du temps pendant et après l’intervention pour convertir notre propre pratique en matériel d’apprentissage et augmenter notre expertise réelle
  • Se former régulièrement, en choisissant avec discernement nos formations
  • Connaître ses propres valeurs et préjugés, en analysant de manière approfondie les cas issus de notre pratique

(3) Pilier recherche

C’est souvent la première chose à laquelle on pense quand on parle d’EBP : trouver les meilleures données de la recherche scientifique. Ce pilier consiste à identifier au sein de la littérature scientifique des données de qualité : valides, actuelles et pertinentes pour notre pratique, tout en gardant un œil critique. Cependant, la profusion d’articles scientifiques et leur qualité très inégale rendent la tâche difficile et chronophage.

Exemples d’outils pour le pilier recherche

  • Se poser une question précise, en dégageant des mots-clés
  • Rechercher les données issues de la littérature
  • Evaluer les données de manière critique : validité interne, applicabilité des résultats dans le contexte de notre pratique, présence de biais, critères d’inclusion, qualité méthodologique…

Où chercher les données :

(4) Pilier contexte organisationnel et environnemental

On inclut ici les ressources liées aux politiques de santé et modèles d’organisation des soins, c’est-à-dire les contraintes qui influencent l’acceptabilité, la faisabilité et la mise en œuvre de l’intervention. Il s’agit par exemple du contexte de financement des soins (en France, les soins en orthophonie sont illimités et remboursés au moins à hauteur de 60%, mais la question du financement peut se poser pour les patient·e·s qui n’ont pas de mutuelle ni de protocole ALD et doivent débourser les 40% restants), du climat social, des infrastructures (désert médicaux bonjour), du cadre juridique et politique, etc.

En résumé…

Cet article (écrit à destination des infirmier·ère·s mais la stratégie est identique pour les orthophonistes) résume bien les étapes de l’EBP – il manque néanmoins le contexte :

  • Étape 0 : cultiver un esprit d’investigation
  • Étape 1 : se poser des questions cliniques précises
  • Étape 2 : trouver les meilleurs données scientifiques
  • Étape 3 : évaluer de manière critique ces données
  • Étape 4 : intégrer les données à l’expertise clinique du praticien et aux préférences et valeurs du patient
  • Étape 5 : évaluer les résultats des décisions ou des changements de pratique sur la base de preuves
  • Étape 6 : diffuser les résultats de l’EBP

Sources et documentation

Willems, S., Maillart, C., Martinez Perez, T., Durieux, N. (2020). MOOC Psychologue et orthophoniste : l’EBP au service du patient, plateforme Fun Mooc. Université de Liège.

Maillart, C., Fage, C., Heck, T., Lejeune, M., Grevesse, P., Martinez Perez, T. Comment peut-on mesurer l’efficacité d’une rééducation de manière écologique ? Étude de cas multiples chez des enfants présentant un trouble du spectre autistique. A consulter ici.

Hilaire-Debove, G. Pourquoi et comment évaluer les outils d’évaluation en orthophonie. A consulter ici.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *