Dans cet article, j’utilise le terme « entourage » pour parler du ou des parents, des proches et des professionnel·le·s du quotidien (éducateur·rice·s, AMP, ME,…) si la personne est accueillie en structure.
Construire une prise en soin orthophonique, notamment celle d’une personne avec un handicap de communication, mais pas que, ne se fait définitivement pas seul·e. Il est indispensable de pouvoir la penser et l’élaborer avec l’entourage de la personne, voire de la personne elle-même si c’est possible. Par construction, j’entends réfléchir ensemble aux domaines que l’on va travailler, aux objectifs précis au sein de ces domaines, et aux supports thérapeutiques que l’on va mettre en œuvre. Pour moi il s’agit réellement de partenariat et donc de co-construction d’un projet autour de la personne, pour la personne, avec la personne.
Dans mes séances je demande la présence de l’entourage, que ce soit pour un·e patient·e présentant un handicap, un trouble du langage oral ou écrit, une déglutition atypique…
Réfléchir aux domaines
Aborder ce point dès la première rencontre au moment du bilan orthophonique est indispensable. Il s’agit de demander à l’entourage et à la personne elle-même pourquoi ce rendez-vous a été pris, quelles sont les difficultés rencontrées, quels sont les domaines dans lesquels la personne semble avoir des forces et ceux pour lesquels elle semble être en difficulté. Si la demande vient d’une tierce personne (médecin, enseignant·e,…), il est bon de voir si la plainte est reprise par l’entourage, si une demande d’aide peut émerger de l’entourage ou de la personne elle-même, et essayer de l’affiner vers les domaines de difficulté. On peut demander tout simplement ce que l’entourage aimerait voir s’améliorer, en pensant notamment à la qualité de vie globale de la personne et non pas seulement aux répercussions académiques (les résultats scolaires par exemple).
Exemple : un bilan est demandé car l’enseignant·e a repéré des difficultés de prononciation chez l’enfant. On va demander aux parents s’ils trouvent eux aussi que leur enfant présente ces difficultés, ce qu’en pense cet enfant, s’ils aimeraient que cela s’améliore, quel est l’impact de ces difficultés sur la communication et le quotidien de l’enfant. Si la plainte n’est pas reprise, et qu’il n’y a finalement pas de plainte des parents ou de l’enfant, la prise en soins risque d’être difficile, même si de réels troubles ont été mis en évidence par l’évaluation orthophonique.
Quand le bilan orthophonique est réalisé, que les difficultés ont été objectivées, nous pouvons reprendre ensemble les domaines les plus touchés. Il m’est arrivé par exemple d’avoir une demande au sujet de l’articulation, que les parents jugeaient fortement touchée. Le bilan a révélé un trouble de la communication massif (il s’est avéré que l’enfant présentait en fait un TSA). Nous avons donc ensuite réajusté ensemble les domaines prioritaires à travailler, notamment en expliquant comment se développent le langage et la communication, ce qui est le plus important au quotidien ou encore dans quel ordre nous travaillons les domaines.
Ces domaines peuvent être :
- L’apprentissage du langage écrit
- L’efficacité de la lecture
- Le développement du vocabulaire
- L’allongement des phrases
- L’amélioration de l’orthographe grammaticale
- La précision de l’articulation
- L’apprentissage de la déglutition adulte
- Les interactions sociales
- …
Réfléchir aux objectifs
Une fois que nous avons un peu « débroussaillé » et que nous sommes d’accord sur le ou les domaine·s à travailler, il va s’agir de co-élaborer des objectifs précis sur lesquels nous allons travailler ensemble.
Grâce à notre bilan orthophonique détaillé, nous pouvons proposer des objectifs à court, moyen et long terme, et expliciter les moyens à notre disposition pour atteindre ces objectifs. A nouveau, c’est un travail de co-construction, l’idée n’étant pas de décider seul·e, en vase clos, mais de discuter avec l’entourage, de questionner, de prendre en compte les priorités et les contraintes.
En reprenant par exemple le domaine de l’allongement des phrases, les objectifs pourraient être :
- Utiliser des adjectifs de façon quotidienne
- Construire des phrases avec des subordonnées relatives
- Augmenter la longueur moyenne des énoncés de 2-3-4… éléments
- Raconter sa journée avec des phrases SVC en majorité
- …
Si nous voulons que le travail effectué en séance soit une impulsion à ce qui est fait au quotidien et qu’il soit généralisé, nos objectifs en tant que professionnel·le doivent absolument être partagés avec l’entourage. Sinon il est clair que l’investissement sera moindre, car la motivation sera moins présente (« il va chez l’ortho, il joue, on ne sait pas trop pourquoi »). Et les progrès certainement faibles.
Pour que les objectifs soient partagés, ils doivent être élaborés, réfléchis, remaniés, adaptés, ensemble, jusqu’à parvenir à un consensus. Ils seront parfois moins hauts que si nous les avions construits seul·e, mais ils conviendront à l’entourage et c’est le plus important. Inversement, si l’entourage vise trop haut, ce sont nos explications du trouble et des possibilités d’intervention qui aideront à adapter les exigences/espérances.
Et bonus : des objectifs bien connus de l’entourage pourront être partagés aux différents interlocuteurs (Education Nationale, centre de loisirs, autre professionnel de santé…) par l’entourage lui-même !
Réfléchir aux supports thérapeutiques
Ces supports à penser ensemble peuvent être notamment :
Nous donnons en tant que professionnel·le une indication sur la fréquence optimale des séances (chez moi c’est 2 séances hebdomadaires le plus souvent), mais il faut également prendre en compte les contraintes organisationnelles (travail des parents, accompagnement possible), matérielles (véhicule par exemple) ou financières (par exemple si le·la patient·e n’a pas de mutuelle).
- La durée de la prise en soin
Il est évidement difficile de donner une durée, car nous ne connaissons pas l’évolution de notre patient·e a priori. Nous pouvons cependant donner un ordre de grandeur. De mon côté, je me base sur la NGAP : je propose de faire une demande pour une première série de 30 ou 50 séances selon les cas, et je dis que nous ferons le point à l’issue de cette série sur nos objectifs. A ce moment, nous échangerons sur l’évolution de leurs attentes, leurs envies, leurs besoins, les progrès, les priorités, l’impact de cette prise en soin sur le·la patient·e mais aussi son entourage.
- La mise en place d’un outil de communication alternative et améliorée
Si la mise en place d’une CAA est indiquée pour le·la patient·e, il y aura certainement un temps d’échange autour du choix de l’outil. Comme pour le reste, l’orthophoniste va apporter des éléments, des explications, des préconisations, et le choix final devra idéalement être effectué avec l’entourage.
- L’automatisation d’une déglutition fonctionnelle
Nous allons par exemple proposer aux parents d’accompagner l’enfant dans ses exercices, de lui faire penser régulièrement à sa posture de langue, de mettre en place des pense-bêtes à la maison.
- Les supports sur lesquels poursuivre au quotidien
Je pense aux livres, aux jeux, aux activités du quotidien (cuisine, jardinage, promenade) : tout ce qui va permettre au·à la patient·e de continuer à mobiliser et à développer ses compétences les plus fragiles en dehors de la séance d’orthophonie. Je pense que c’est une grande part du partenariat parental. Il s’agit de transférer les interactions et le travail que nous faisons en séance au quotidien du·de la patient·e, pour l’intégrer dans son environnement naturel et obtenir ainsi un gain fonctionnel. Je l’avoue, je n’aime pas trop l’expression « reprendre à la maison » ce qui est fait en séance. Pour moi, il ne s’agit pas de « devoirs d’orthophonie » (expression déjà entendue) en utilisant du matériel du cabinet mais d’une continuité des attitudes, étayages, aides, propositions, conseils… que j’ai pu modéliser en séance en prenant comme support le quotidien.
A nouveau sur le domaine de l’allongement des phrases, avec l’objectif « construire des phrases avec des subordonnées relatives », les supports du quotidien pourraient être : regarder un livre et produire des commentaires en utilisant le pronom relatif « qui », reformuler 2 phrases spontanées de l’enfant pour en faire une seule avec une subordonnée relative, jouer à un jeu de dinette/poupée/dans le bain/… en modélisant des phrases avec subordonnées relatives, …
- Des idées pour écrire à la maison
Pour le langage écrit, j’aime bien donner quelques idées pour que l’écriture devienne un outil plutôt qu’une contrainte pour l’enfant. Cela peut être par exemple fabriquer une petite boite aux lettres où chacun peut poster des messages pour un autre membre de la famille, écrire un livre ensemble avec des illustrations, proposer d’écrire une lettre à un·e cousin·e/un·e ami·e sur du beau papier à lettres, s’écrire des messages secrets, faire une chasse au trésor (des indices successifs à trouver jusqu’à l’endroit final où se trouve un bonbon !), demander un menu spécial par écrit…
J’envisage ainsi davantage mon intervention comme un accompagnement (coaching) de l’entourage plutôt qu’une intervention directe isolée auprès du·de la patient·e, pour plus d’efficacité, un travail plus fonctionnel et des compétences utilisables dans la vraie vie, celle en dehors du cabinet ! De cette manière, les pauses thérapeutiques sont également plus efficaces : l’entourage a un bagage pour poursuivre l’accompagnement du·de la patient·e à la maison/dans la structure, car on a donné des outils pour cela.