Être soignant·e et neurodivergent·e

Neurodivergence, neuroatypie, neurodiversité ?

La neurodivergence est un mot parapluie pour décrire quiconque ayant un fonctionnement neurologique différent de la majorité des personnes (dites neurotypiques). Etre neurodivergent n’est pas une maladie, c’est fonctionner différemment. Cela peut cependant constituer un handicap dans notre société très normative. Ce fonctionnement fait partie de l’identité et souvent de la personnalité de la personne concernée.

Le terme neurodivergence implique une différence, tandis que le terme neuroatypie renvoie davantage à une norme, même si la nuance est fine.

La neurodiversité est un terme générique regroupant notamment les troubles du spectre de l’autisme, le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, le haut potentiel, la dyslexie, la dyscalculie, le syndrome de Gilles de la Tourette, mais également la neurotypicalité. C’est l’idée que, comme dans tout autre environnement stable, les êtres humains sont différents et complémentaires, en l’occurrence par le biais de leurs cerveaux. Les neuroatypiques sont aussi distincts les uns des autres que les neurotypiques.

Quand on aborde le fonctionnement neurologique sous l’angle de la diversité, l’idée est également de se demander si les « déficiences » ne seraient pas seulement des « différences », où se situent la norme et le handicap, et d’explorer avec cette notion philosophico-éthique de déficience qui est très liée à l’environnement dans lequel on évolue (impact fonctionnel du handicap).

Ëtre soignant et neurodivergent, limitant ou aidant ?

Je crois qu’il n’existe pas de réponse absolue. Cela dépend de la façon dont la neurodivergence est abordée par le·la soignant·e, sa connaissance de ses forces et de ses fragilités, de ses possibilités de compensation de certaines difficultés, et de sa patientèle.

Comme pour beaucoup d’aspects de la vie d’un·e neurodivergent·e, je suis profondément convaincue que la meilleure façon d’aborder les choses dans notre métier est de connaitre son propre fonctionnement, ses limites, ses outils indispensables, ses facilités, ses ressources.

Finalement, notre fonctionnement peut être à la fois limitant et aidant, selon les jours, les patient·e·s, les familles…

Mais puisque chaque personne est différente, je ne peux vous parler que de ma propre expérience.

Mon cas personnel

Je suis neurodivergente et j’ai une patientèle en majorité issue de la neurodivergence : déficience intellectuelle, troubles du spectre de l’autisme, TDAH, polyhandicap, haut potentiel, TDL.

Je pense que le gros point positif de ma neurodivergence est cette empathie et cette connaissance de l’intérieur que j’ai, même si évidemment chaque personne a un fonctionnement particulier.

Il m’arrive régulièrement d’aborder ma neurodivergence avec mes patient·e·s (enfants et ados) et leurs parents, en n’omettant jamais de dire que tous les profils sont différents. Vivre les choses de l’intérieur m’aide notamment à leur expliquer les troubles d’intégration sensorielle, la fatigue engendrée par les stimulations, les efforts à déployer pour les interactions sociales, les ressources attentionnelles différentes…

Je pense par exemple à une famille qui ne comprenait pas que leur enfant, pour se concentrer et lire, avait besoin de bouger ou d’écouter de la musique. Ils voulaient absolument qu’il reste assis et dans le silence, car c’est ainsi qu’eux arrivaient à se concentrer. J’ai pris mon cas personnel : j’écris cet article en regardant un film que je connais bien, sans le son, en écoutant un podcast et en faisant un défi de sudoku. J’ai besoin pour me concentrer de cette pluralité d’apports que je choisis. A l’inverse, un petit bruit ou un vêtement inconfortable peut totalement m’empêcher de me concentrer. Je leur ai expliqué que chaque personne mobilise son attention de manière différente, et que leur rôle était plutôt d’aider leur enfant à trouver sa façon à lui de la mobiliser.

Je demande également à mes patient·e·s en début de prises en soin si cela est possible pour eux, ou avec le concours de l’entourage, d’essayer de trouver les choses qui les apaisent. C’est une des clés selon moi du bien-être, et donc de la disponibilité en séance. Nous commençons souvent la séance par ça. Cela prend régulièrement la forme de régulation sensorielle : quelques balancements, de la musique, malaxer de la pâte à modeler, une méditation, un massage, une pause silencieuse, s’allonger une minute au sol… Ces éléments évoluent souvent, et j’encourage mes patient·e·s à s’interroger sur leurs ressentis et leurs besoins. C’est aussi très aidant pour proposer des aménagements pour les temps scolaires, le centre de loisirs ou autre.

Bien sûr, il y a le revers de la médaille, et les choses qui sont plus difficiles au quotidien.

L’hypersensibilité sensorielle (présence de néons, d’odeurs, matière d’une chaise, bruits, cris…) peut prendre beaucoup de place, et la gestion de cette hypersensibilité est extrêmement fatigante car il faut sans arrêt réussir à éviter de trop y penser pour se concentrer – si c’est possible. J’ai dû par exemple arrêter d’intervenir dans une structure pour des raisons sensorielles.

Les interactions sociales sont aussi très coûteuses, pas dans le temps de séances mais plutôt les « à côté », les small talks, la gestion des prises de rendez-vous (mais je suis bien aidée par Perfactive !), la diplomatie et la patience ne me caractérisant absolument pas.

L’intolérance à l’injustice et à l’incompétence, le perfectionnisme, et des tas d’autres choses ont conditionné ma façon de travailler en termes de statut, d’horaires ou encore de patientèle. La chance que j’ai est de travailler en libéral et de pouvoir choisir dans une certaine mesure mes conditions de travail.

Je suis curieuse de vos partages d’expériences !

Sources et documentation

Un article intéressant ici

10 réflexions sur « Être soignant·e et neurodivergent·e »

  1. Caroline Flower

    Très bel article.
    Éclairage très intéressant qui me touche.
    Merci de ce partage!

  2. Marie

    Super article, merci d’avoir « osé » en parler, j’ai l’impression, ou peut-être est-ce ma propre perception, qu’il y a une forme de tabou à être soignant et soi même neurodivergent. Moi même ortho et autiste, je ne suis pas encore capable d’en parler, à mes collègues, à mes patients. La peur d’être considérée alors comme moins compétente peut-être. Ce que je peux être en effet, je l’ai été! Avant d’enfin comprendre mon fonctionnement, mes limites, quitter moi aussi mon travail en institution pour être seule en libéral, et choisir les problématiques pour lesquelles je peux agir, et bien.

    1. Charlotte Auteur de l’article

      je crois qu’il y a en effet un tabou, j’irais même sur la neurodivergence en général et pas seulement en étant soignant. Je comprends tout à fait ta peur, la différence dans notre société très validiste est encore quelque chose que l’on cherche à cacher, car c’est souvent vu comme « moins bon » que la norme. Bon courage dans ton cheminement 🙂

  3. Carlotti

    J’ai lu avec grand intérêt votre article et vous en remercie, il permet une vraie réflexion et ouvre des chemins dans la prise en charge de nos patients neurodivergents.

    1. Charlotte Auteur de l’article

      merci beaucoup, je suis contente si cela permet d’ouvrir une réflexion, de lever certains tabous ou de percevoir les choses un peu différemment 🙂

  4. Claire

    Merci beaucoup pour cet article ! Cela pose aussi la question de « qu’est-ce qu’on partage avec le patient? » et remet à plat la sacro-sainte distance thérapeutique. Car oui, quand on parle de nos propres expériences, de nos petits trucs (bah oui, moi aussi j’oublie de fermer la porte de la maison et je retourne parfois vérifier 3 fois pour être sûre, et puis je perds mes mots aussi, et je fais 1000 choses en même temps pour être efficace. Etrange, non? et pourtant j’ai réussi mes études et j’ai un métier, si si !…) et bien on s’expose… Certains psys pousseraient de hauts cris, mais cela ne nous rend-il pas aussi plus humains, et finalement aussi « atypiques » que nos patients ?
    Au plaisir de te lire à nouveau !

    1. Charlotte Auteur de l’article

      Tout à fait d’accord, on « s’expose » mais c’est aussi ce qui nous rend humain et contribue à l’alliance thérapeutique. On n’est pas des robots ! Perso j’insiste beaucoup sur la neurodiversité dans mes échanges avec les parents d’enfants qui ont un développement atypique. On est différent à l’extérieur, couleur des yeux, des cheveux, taille, etc., à l’intérieur (caractère, personnalité), et dans nos fonctionnements cognitifs et nos façons d’appréhender le monde et d’apprendre et bien c’est pareil 🙂

  5. Raphaëlle

    Un article qui me parle beaucoup, car je pense avoir moi aussi un fonctionnement neurodivergent. Notre métier nous permet des ajustements choisis et de respecter notre fonctionnement particulier. Je prends beaucoup de plaisir à lire les blogs d’orthophonistes neuro divergents américains ou anglais qui en parlent ouvertement et qui en font un atout dans leurs thérapies comme Rachel Dorsey et bien d’autres comme sur le site Therapist Neurodiversity Collective.

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